Du collage au rhizome d’Iroise Doublet
Si les peintres ont commencé par utiliser les murs des cavernes et des grottes comme supports, cela fait maintenant bien longtemps que celleux-ci se sont cantonné.e.s à une affaire de cadre et d’intériorité.Circoncise à un espace bien déterminé, une peinture surprend par son histoire, sa virtuosité, son message ou encore son contexte. Assez logiquement, des peintres au XXe siècle ont eu le désir d’échapper à ce carcan classique et de la faire sortir littéralement de son périmètre défini. Iroise Doublet s’insère dans cette histoire d’explosion et de fragmentation de la peinture et de l’œuvre d’art dans la troisième dimension. Pour ces derniers projets, dont celui deTonnerre, elle envisage l’exposition comme un puzzle et une énigme. Chaque élément disposé dans l’espace permet la compréhension du suivant ou vice-et-versa, décrivant une narration et des digressions dont l’artiste a les clefs.
C’est d’ailleurs par le réemploi d’une clef que débute l’histoire qu’Iroise Doublet a choisi de conter au Café des Glaces. A la fois ready-made et partie de l’installation murale Vers ta joue, vers ta main, cet objet banal participe à la composition de la silhouette d’un visage délicat dessiné au mur et couvert d’un rideau prenant la forme d’une coiffe traditionnelle de Bretagne. Il s’agit d’un autoportrait subtil de l’artiste qui, en outre, se répète plusieurs fois dans l’exposition telle une ritournelle tant entêtante qu’élégante. Plusieurs motifs sont ainsi démultipliés dans des configurations et des dispositions originales à l’instar de la pièce conceptuelle One andThree Chairs de Joseph Kosuth (1965) où une chaise côtoie son image photographique et sa définition écrite dans le même espace d’exposition. Cependant si Kosuth interroge la prévalence de l’idée sur l’objet, chez Iroise Doublet, le récit et le mode de représentation se retrouvent au cœur de l’œuvre. Fascinée par un buffet typique de mariage breton, l’artiste emprunte la clef de ce meuble et la transforme en un motif mystique à la manière de David Lynch dans le film Mulholland Drive (2001), où cet ustensile sert de fil de sécurité aux protagonistes tout en incarnant l’idée de mystère. La clef se décline en un grand dessin mural tandis qu’une partie du buffet, absent physiquement, apparaît tout de même grâce à la photographie. Pour l’artiste, la forme organique de cette clef suggère la nature, qui se révèle omniprésente dans l’exposition avec une série de dessins de fleurs d’une facture presque enfantine. La symbolique de la clef trouve une acception large mais comprend surtout les conceptions de connaissance, de révélation et d’intimité, qui apparaissent également essentielles dans les recherches de l’artiste pource projet. Ainsi, logée dans cet ancien espace domestique du Café des Glaces, Iroise Doublet aborde la question de l’espace privé et nécessaire que Virginia Woolf décrit dans le roman féministe Une chambre à soi (1929). Avec les circonvolutions, de prime abord légères, d’Iroise Doublet, on entrevoit des réflexions autour, notamment, des notions de matriarcat et de la transmission de savoir-faire assignés aux femmes –tressage, science du découpage... Œuvre centrale de ce nouveau corpus, l’Autoportrait à la tresse évoque tant l’enfance de l’artiste que la tradition du portait aux ciseaux, une pratique populaire et datée qui s’apparente au champ des loisirs créatifs. Un autre dessin mural frappe par son intensité et sa présence : une forme schématique et identifiable universellement d’un papillon surdimensionné. A la fois symbole de l’éphémère et de la transformation – depuis la chenille au cocon à son évolution finale –le papillon se mêle, dans une autre version, à l’autoportrait toujours plus démultiplié, rappelant que toutes les œuvres fonctionnent en collage et en rhizome chez Iroise Doublet.
Loïc Le Gall