Texte d'exposition
On réduit souvent la peinture à ses deux dimensions évidentes (la surface picturale) mais assurément elle en compte trois: lorsqu’elle n’est pas exécutée sur une feuille de papier mais sur une toile tendue sur châssis ou sur un panneau de bois, l’épaisseur de ce support, qui transforme un peu la peinture en objet, joue un rôle déterminant dans la manière dont nous appréhendons cet objet — et sa surface picturale. Que le châssis soit trop mince et c’est sans appel toute la surface picturale qui aura peine à se stabiliser devant nous ; qu’il soit trop épais et c’est cette incongruité qui renverra à plus tard l’examen de la surface picturale. Quoiqu’il en soit l’expérience qui nous est familière est qu’une peinture contemporaine (car les peintures anciennes dans les musées sont souvent flanquées de leur cadre qui, coup de théâtre ! semble placer la surface picturale au fond d’une cuvette dorée) se présente à nous sous les aspects d’un parallélépipède qui supporte une surface peinte. On peut toujours ruer dans les brancards : Gothar Graubner (1930 – 2013), l’objet toile devient une boursouflure et la couleur n’est plus une surface mais elle imbibe la toile-coussin ; Julian Schnabel, les « Plate Paintings », qui transforment la surface picturale en conséquence désastreuse d’une scène de ménage.
En d’autres occurrences, c’est la surface picturale elle-même qui se vallonne: Eugène Leroy (1910-2000), le mythe de la peinture comme infinie succession de strates ; Vincent Van Gogh (1953-1890) et la touche qui le caractérisa, Karel Appel (1921-2006). Et l’empâtement COBRA. Même le terme qui désigne cette accumulation de matière à la surface de la toile ressemble à un reproche :« L’empâtement », comme on le dirait d’un corps alourdi par des amas de graisse excédentaire.
C’est un peu l’arbre généalogique des peintures d’AntoineChâteau, en tous cas elles ont tout ça à l’esprit et nous aussi lorsque nous les regardons et que, unes à unes, leurs singularités s’expriment. Il n’y a pas d’explication raisonnable à leur petite taille mais elles sont de petite taille, comme si quelque chose avait été concentré (ou comme si notre concentration ne pourrait supporter plus). L’objet-peinture a les contours floutés par les débords de la matière picturale (éclaboussure ?boursouflure ? prolifération ?) et, parfois, la surface picturale avoue des anfractuosités qui la font ressembler à une roche calcaire érodée parles vents. A l’heure où les expositions se veulent « immersives »(comme si l’expérience de la peinture ne l’était pas fatalement toujours), on pourrait se loger mentalement dans les replis de ces peintures-ci, et observer les couleurs : Château les fait vibrer, les sculpte, les étalonne, bref, les contraint dans l’unique direction de sa « peinture de sentiment ». Les peintures d’Antoine Château, il me semble, sont toujours figuratives : elles expriment avec précision un lieu (un jardin par exemple), un sujet (un poisson, une fleur) ou un moment (un orage), un peu en se servant de leur aspect physique et essentiellement en se servant des émotions qui y sont associées. Le curseur « réaliste » a été sérieusement abaissé pour relever celui des émotions, mais il faut se fier aux titres (« flanc de pirogue où dansent des ombres » (2019),« Poisson » (2020),…).
A chaque étape de la conception de ces peintures, il semble que Château ait résolument pris les chemins de traverses et, le cas échéant, usé de la machette dans les buissons. De la somme des singularités qu’ont produit chacune de ces étapes, il a fait un langage élaboré et sensible :il en ajuste la grammaire et la syntaxe depuis une quinzaine d’années et les possède désormais parfaitement. Loin de nous être totalement exotique, ce langage nous est un peu familier — mais ce que nous préférons c’est le son si particulier de tout ce que nous ne comprenons pas.
Mars 2023, Éric Troncy
En d’autres occurrences, c’est la surface picturale elle-même qui se vallonne: Eugène Leroy (1910-2000), le mythe de la peinture comme infinie succession de strates ; Vincent Van Gogh (1953-1890) et la touche qui le caractérisa, Karel Appel (1921-2006). Et l’empâtement COBRA. Même le terme qui désigne cette accumulation de matière à la surface de la toile ressemble à un reproche :« L’empâtement », comme on le dirait d’un corps alourdi par des amas de graisse excédentaire.
C’est un peu l’arbre généalogique des peintures d’AntoineChâteau, en tous cas elles ont tout ça à l’esprit et nous aussi lorsque nous les regardons et que, unes à unes, leurs singularités s’expriment. Il n’y a pas d’explication raisonnable à leur petite taille mais elles sont de petite taille, comme si quelque chose avait été concentré (ou comme si notre concentration ne pourrait supporter plus). L’objet-peinture a les contours floutés par les débords de la matière picturale (éclaboussure ?boursouflure ? prolifération ?) et, parfois, la surface picturale avoue des anfractuosités qui la font ressembler à une roche calcaire érodée parles vents. A l’heure où les expositions se veulent « immersives »(comme si l’expérience de la peinture ne l’était pas fatalement toujours), on pourrait se loger mentalement dans les replis de ces peintures-ci, et observer les couleurs : Château les fait vibrer, les sculpte, les étalonne, bref, les contraint dans l’unique direction de sa « peinture de sentiment ». Les peintures d’Antoine Château, il me semble, sont toujours figuratives : elles expriment avec précision un lieu (un jardin par exemple), un sujet (un poisson, une fleur) ou un moment (un orage), un peu en se servant de leur aspect physique et essentiellement en se servant des émotions qui y sont associées. Le curseur « réaliste » a été sérieusement abaissé pour relever celui des émotions, mais il faut se fier aux titres (« flanc de pirogue où dansent des ombres » (2019),« Poisson » (2020),…).
A chaque étape de la conception de ces peintures, il semble que Château ait résolument pris les chemins de traverses et, le cas échéant, usé de la machette dans les buissons. De la somme des singularités qu’ont produit chacune de ces étapes, il a fait un langage élaboré et sensible :il en ajuste la grammaire et la syntaxe depuis une quinzaine d’années et les possède désormais parfaitement. Loin de nous être totalement exotique, ce langage nous est un peu familier — mais ce que nous préférons c’est le son si particulier de tout ce que nous ne comprenons pas.
Mars 2023, Éric Troncy