Texte d'exposition (1)
Olga Rozenblum
Bastien Cosson est artiste et peintre. C’est comme ça qu’il se définit. Pour lui, être artiste et être peintre sont des activités entremêlées mais distinctes : être artiste, c’est un rapport au monde ; être peintre, c’est peindre.
Les peintures de Bastien Cosson sont des images qu’il projette selon ce qui lui arrive dans la vie, et selon ce qu’il veut faire de la sienne. Pour atteindre cet objectif, il utilise la toile, recouverte de peinture le plus souvent, mais aussi d’impressions, de collages, de tissus plus récemment. Il pourrait tout autant se servir d’un autre médium : c’est un choix manifeste et performatif qu’il a fait en décidant de produire exclusivement des tableaux.
C’est pour ça que son œuvre est si hétérogène. Il n’y pas de style «Cosson», il y a une série de tentatives de Bastien à produire des cadres : pour se faire du bien, pour donner un sens à ce qui n’en a pas, pour faire exister ceux et celles qu’il aime dans des espaces d’exposition qu’il trouve trop souvent désincarnés.
C’est ainsi que, dans un entretien récent avec les théoricienne et commissaire Clara Schulmann et Thomas Boutoux (podcast En déplacement #12, à écouter sur Spotify), Elsa Oliarj-Inès et Bastien Cosson racontent comment et pourquoi ils ont créé Palette Terre, un lieu d’exposition dans leur appartement à Paris de 2014 à 2021: « Bastien: Je me demande souvent pourquoi les lieux d’art sont froids, secs, etc. [...] Quand on est arrivés dans un appartement où il y avait une pièce en plus, on s’est dit : qu’est-ce qu’on peut faire, mettre un canapé et faire un salon? Non, c’était beaucoup plus logique de faire un lieu d’exposition. – Elsa : C’était une manière de court-circuiter la validation du monde de l’art, de se convaincre qu’il n’y avait besoin de personne pour montrer les choses qu’on a envie de voir et que Bastien faisait. Et j’ai trouvé que c’était la meilleure solution de créer ce lieu d’exposition. De toute façon, il n’y avait pas vraiment d’alternative [pour montrer son travail].» Comme d’autres artistes avant lui qui considèrent leur pratique au-delà d’une pratique d’atelier, Bastien Cosson a voulu ouvrir un lieu comme un espace mental qui lui permettrait d’élargir son champ de création. Il dit de ces artistes que « pour justifier leurs pièces, pour leur donner de la consistance, ils avaient besoin de se fabriquer un territoire nouveau. Une fois qu’ils en ont créé les contours, ils ont pu produire à l’intérieur de cet espace, y évoluer, puis s’en émanciper. »
Né en 1988, Bastien Cosson a fait les Beaux- Arts de Paris dans l’atelier de Sylvie Fanchon, une artiste dont le travail trop peu connu (comme celui de trop d’artistes femmes), pourrait constituer une des généalogies de sa propre pratique. Sylvie Fanchon, décédée cette année et regrettée tristement par Bastien Cosson et beaucoup d’autres jeunes artistes, disait de la peinture qu’elle« n’est pas une technique de reproduction du visible de plus, mais une pratique qui interroge les différents modes de visibilité du réel ». Elle expliquait qu’elle prenait le tableau « tel qu’il est, une convention, une surface ». Elle employait une formule pour parler des formes qu’elle produisait: «Ce sont des vérifications. »
Vérifier, « checker ». Représenter pour être certain que c’est bien vrai. Produire des images pour raconter au présent, malgré les rétines qui oublient ce qu’on a vu, le temps qui n’imprime pas les sensations, les flux Instagram qui rendent tout aussi visible qu’anecdotique : c’est en un sens le projet que construit Bastien Cosson pour le Café des glaces.
C’est pour vérifier que l’on peut s’attacher à des images qu’il a décidé d’en imprimer 900 dans une édition qui constitue le socle de cette exposition. Ces images, elles aussi, sont hétérogènes. Elles sont les témoins d’un parcours plutôt que d’un projet encadré, trop cadré. Sur les murs comme dans le livre, les tentatives de Bastien Cosson sont de l’ordre de la fuite, de la résistance à une normalisation qui ferait de lui simplement un peintre. Pour « justifier » de ses pièces, et s’émanciper de ses devoirs d’artiste.
Olga Rozenblum est programmatrice, commissaire d’exposition, enseignante, actuellement chercheuse associée de l’école des beaux-arts de Marseille. Elle est co-fondatrice de Treize, à Paris.
Les peintures de Bastien Cosson sont des images qu’il projette selon ce qui lui arrive dans la vie, et selon ce qu’il veut faire de la sienne. Pour atteindre cet objectif, il utilise la toile, recouverte de peinture le plus souvent, mais aussi d’impressions, de collages, de tissus plus récemment. Il pourrait tout autant se servir d’un autre médium : c’est un choix manifeste et performatif qu’il a fait en décidant de produire exclusivement des tableaux.
C’est pour ça que son œuvre est si hétérogène. Il n’y pas de style «Cosson», il y a une série de tentatives de Bastien à produire des cadres : pour se faire du bien, pour donner un sens à ce qui n’en a pas, pour faire exister ceux et celles qu’il aime dans des espaces d’exposition qu’il trouve trop souvent désincarnés.
C’est ainsi que, dans un entretien récent avec les théoricienne et commissaire Clara Schulmann et Thomas Boutoux (podcast En déplacement #12, à écouter sur Spotify), Elsa Oliarj-Inès et Bastien Cosson racontent comment et pourquoi ils ont créé Palette Terre, un lieu d’exposition dans leur appartement à Paris de 2014 à 2021: « Bastien: Je me demande souvent pourquoi les lieux d’art sont froids, secs, etc. [...] Quand on est arrivés dans un appartement où il y avait une pièce en plus, on s’est dit : qu’est-ce qu’on peut faire, mettre un canapé et faire un salon? Non, c’était beaucoup plus logique de faire un lieu d’exposition. – Elsa : C’était une manière de court-circuiter la validation du monde de l’art, de se convaincre qu’il n’y avait besoin de personne pour montrer les choses qu’on a envie de voir et que Bastien faisait. Et j’ai trouvé que c’était la meilleure solution de créer ce lieu d’exposition. De toute façon, il n’y avait pas vraiment d’alternative [pour montrer son travail].» Comme d’autres artistes avant lui qui considèrent leur pratique au-delà d’une pratique d’atelier, Bastien Cosson a voulu ouvrir un lieu comme un espace mental qui lui permettrait d’élargir son champ de création. Il dit de ces artistes que « pour justifier leurs pièces, pour leur donner de la consistance, ils avaient besoin de se fabriquer un territoire nouveau. Une fois qu’ils en ont créé les contours, ils ont pu produire à l’intérieur de cet espace, y évoluer, puis s’en émanciper. »
Né en 1988, Bastien Cosson a fait les Beaux- Arts de Paris dans l’atelier de Sylvie Fanchon, une artiste dont le travail trop peu connu (comme celui de trop d’artistes femmes), pourrait constituer une des généalogies de sa propre pratique. Sylvie Fanchon, décédée cette année et regrettée tristement par Bastien Cosson et beaucoup d’autres jeunes artistes, disait de la peinture qu’elle« n’est pas une technique de reproduction du visible de plus, mais une pratique qui interroge les différents modes de visibilité du réel ». Elle expliquait qu’elle prenait le tableau « tel qu’il est, une convention, une surface ». Elle employait une formule pour parler des formes qu’elle produisait: «Ce sont des vérifications. »
Vérifier, « checker ». Représenter pour être certain que c’est bien vrai. Produire des images pour raconter au présent, malgré les rétines qui oublient ce qu’on a vu, le temps qui n’imprime pas les sensations, les flux Instagram qui rendent tout aussi visible qu’anecdotique : c’est en un sens le projet que construit Bastien Cosson pour le Café des glaces.
C’est pour vérifier que l’on peut s’attacher à des images qu’il a décidé d’en imprimer 900 dans une édition qui constitue le socle de cette exposition. Ces images, elles aussi, sont hétérogènes. Elles sont les témoins d’un parcours plutôt que d’un projet encadré, trop cadré. Sur les murs comme dans le livre, les tentatives de Bastien Cosson sont de l’ordre de la fuite, de la résistance à une normalisation qui ferait de lui simplement un peintre. Pour « justifier » de ses pièces, et s’émanciper de ses devoirs d’artiste.
Olga Rozenblum est programmatrice, commissaire d’exposition, enseignante, actuellement chercheuse associée de l’école des beaux-arts de Marseille. Elle est co-fondatrice de Treize, à Paris.